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Les réseaux : quel impact environnemental ?

Les réseaux : quel impact environnemental ?

Pauline Rocu, diplômée de Télécom Paris, chargée de mission sobriété numérique à l’ADEME, oct. 2024.


Pauline Rocu (vignette Ideas)Pauline Rocu, diplômée de Télécom Paris en 2022, est aujourd’hui chargée de mission sur le numérique responsable à l’ADEME, l’agence de la transition écologique.

Elle nous parle de l’impact énergétique du numérique sous un angle nouveau puisqu’elle conduit une étude sur l’impact environnemental des réseaux, moins documenté que l’impact des terminaux et des data centers.

Propos recueillis par Isabelle Mauriac

Une étude pionnière sur l’impact du numérique

Pouvez-nous parler de la première étude socle de l’ADEME sur le cycle de vie du numérique publiée en 2022, dans laquelle elle s’est penchée à la fois sur les terminaux utilisateurs, les data centers et les réseaux ?

Effectivement l’ADEME a publié une première étude en 2022 sur l’impact environnemental du numérique en France (portée avec l’ARCEP), et dont l’objectif était d’avoir une première vision de l’impact environnemental du numérique tel qu’on l’utilise en France. Pour ce faire, le numérique a été divisé en trois grandes briques, ce que l’on appelle des « tiers ». Le « tiers terminaux », c’est tout ce qu’on a dans les mains quand on utilise du numérique : nos téléphones, les ordinateurs, les télévisions, etc. Le deuxième « tiers », ce sont les data center, où gravitent nos données. Et le troisième « tiers », les réseaux, donc tout ce qui nous permet de transmettre les données.

Quels sont les principaux résultats de cette étude ?

Cette étude consistait à faire une analyse cycle de vie de ces trois « tiers » du numérique. Une analyse cycle de vie est un calcul un peu plus précis et détaillé que juste l’impact carbone des trois briques du numérique, l’impact environnemental de ces équipements est étudié depuis leur fabrication jusqu’à leur fin de vie en passant pas leur utilisation selon différents critères, à la fois le critère carbone mais aussi, par exemple, celui de l’épuisement des ressources naturelles (comme la ressource d’eau douce par exemple).

Ce qui ressort principalement de cette étude : c’est l’étape de la fabrication qui a vraiment le plus d’impact aujourd’hui.

Elle représenterait près de 80% de l’impact carbone du numérique en France, alors que l’utilisation du numérique ne représenterait qu’autour de 15% de l’impact carbone. Et si on regarde au niveau des trois « tiers », c’est vraiment le tiers des terminaux qui a le plus d’impact. On est aussi sur à peu près 80%, alors que les data centers ne représentent que 15% des impacts et les réseaux seulement 5%.

Focus sur les réseaux

Vous vous penchez aujourd’hui plus précisément sur les impacts des réseaux… Si les briques sont étudiées une par une, j’imagine c’est que c’est parce que vous cherchez des résultats plus précis que vous n’avez pas forcément eus dans l’étude générique ?

Effectivement, c’était une première étude afin d’avoir une image de l’impact environnemental du numérique en France. Mais sur ce sujet encore assez récent, il est difficile d’avoir accès à toutes les données qui nous permettraient d’avoir un calcul vraiment précis. Cette première étude, qui donne de premiers ordres de grandeur, a forcément ses limites, dont par exemple le fait qu’elle n’a pas pris en compte les data centers hébergés à l’étranger, alors que lorsqu’une vidéo est regardée en France par exemple, il est sûr que les données passent par des data centers à l’étranger.

Aujourd’hui, certaines études prennent en compte ces data centers situés à l’étranger, qui inversent presque les tendances des résultats de l’étude de 2022 : seulement 50% de l’impact carbone viendraient de la fabrication de nos équipements numériques et presque 40% sur son utilisation.

Donc cela nous incite à sûrement creuser à la fois la brique data centers mais aussi la brique réseaux justement. D’ailleurs, dans cette première étude, nous avions seulement considéré les réseaux mobiles et les réseaux fixes, et donc écarté d’office les autres réseaux.

Vous parlez des data centers, un sujet assez médiatisé et sans doute assez documenté, en tous cas davantage que les réseaux ! Si les réseaux sont moins étudiés, est-ce parce que leur impact est moindre que les data centers ou des terminaux ?

En reprenant l’étude ADEME-ARCEP de 2022, on estime que les réseaux ne constituent que 5% de l’impact environnemental du numérique, donc a priori c’est effectivement la brique qui a le moins d’impact : cela peut expliquer pourquoi c’est un petit peu moins médiatisé. Maintenant, les réseaux représentent quand même des enjeux très important, parce que le numérique ne peut pas fonctionner sans les artères que sont les différents réseaux construits.

Au-delà de l’impact carbone, il y en a bien d’autres aussi importants à prendre en compte et qui n’avaient pas du tout été étudiés dans l’étude ADEME-ARCEP.

Pensons par exemple aux satellites qui se développent beaucoup et qui peuvent avoir un impact environnemental considérable, notamment pendant la phase de lancement, très difficile à estimer.

Il est vrai qu’on ne pense pas forcément aux réseaux quand on pense numérique, alors que, comme vous le rappelez, ce sont les artères ! Pouvez-vous nous dire ce que recouvre la notion de réseau et donc quel est le champ de votre étude ?

Comme je le disais, dans l’étude ADEME-ARCEP, nous avions déjà étudié tous les réseaux fixes et les réseaux mobiles. Ils permettent par exemple d’avoir la fibre à la maison en wifi ou de capter la 4G ou la 5G sur son téléphone. Mais il existe de nombreuses autres briques réseaux que nous n’avions pas prises en compte. Je parlais des satellites, qui font partie de ce que nous aimerions étudier. Il y a aussi les câbles sous-marins qui permettent de relier deux continents pour faire transiter les données. Il existe aussi, dans la même veine que les data centers, tous les réseaux hébergés à l’étranger mais par lesquels vont transiter nos données quand on utilise le numérique en France. Ensuite, il existe les faisceaux hertziens, qui font partie aussi de nos réseaux mobiles.

Enfin il y a deux autres gros réseaux, non étudiés auparavant : le LPWAN, ou réseaux pour l’Internet des objets (tous les objets connectés se basent sur des réseaux légèrement différents de la téléphonie mobile). Vu le développement des objets connectés, il est vraiment intéressant d’étudier aussi les réseaux sur lesquels se base cet internet des objets et tous les réseaux professionnels, les réseaux LAN.

C’est donc phénoménal comme champ d’exploration… comment faites-vous pour recoller toutes ces données ?

Oui, ce n’est pas une mince affaire ! Aujourd’hui nous sommes au tout début, sur la phase bibliographique pour comprendre comment fonctionnent ces réseaux, la logique derrière ces différentes briques réseaux et étudier ce qui existe déjà dans la littérature, afin d’avoir une première idée de l’impact environnemental de ces réseaux. Dans un premier temps, seules les données carbone seront sûrement accessibles, même si à terme il serait souhaitable de prendre en compte les autres critères environnementaux.

À la suite de cette étude bibliographique, l’idée serait de savoir tout simplement quelles briques ont un impact environnemental vraiment important pour ensuite pouvoir faire des études plus poussées en analyse cycle de vie complète de ces briques réseaux.

Vous parlez du cycle de vie de ces réseaux ; l’étude n’a pas encore démarré, mais avez-vous quand même une première intuition des principaux centres d’émissions carbone dans le cycle de vie des réseaux ?

En reprenant les études publiées jusqu’à présent sur les différents équipements numériques, c’est quand même la phase de fabrication qui est la plus coûteuse pour l’environnement de manière générale, tout simplement parce qu’elle demande des ressources, notamment des ressources minérales très souvent difficiles à obtenir. Il y a les problématiques de terres rares dont on entend souvent parler, ainsi que sur l’eau et forcément un impact carbone important qui en découle.

Mais en reprenant toujours le cas des satellites, la phase de lancement des satellites dans l’atmosphère est relativement difficile à étudier, mais c’est une phase qui rejette énormément de particules fines dans toutes les couches de l’atmosphère. Cela peut avoir un impact très important, sur la couche d’ozone et sur le réchauffement climatique de manière générale.

Dans le cycle de vie, il y a aussi la fin de vie. Il est vrai que les satellites, pas forcément recyclables ou même récupérés, sont réputés polluants…

Il n’existe malheureusement pas d’indicateurs dans la méthodologie ACV (analyse de cycle de vie) à propos de la pollution, lumineuse par exemple, qu’engendrent les satellites mais nous allons essayer de voir quel impact peuvent avoir les satellites, notamment au moment de leur fin de vie. On peut aussi penser aux câbles sous-marins avec le démantèlement des câbles qui est forcément très impactant… mais il faudra voir ce que donnera l’étude.

Quelle influence sur le climat ?

Savez-vous si l’ADEME a dans les cartons une étude sur les apports du numérique sur la transition climatique, afin d’avoir une vision exhaustive de ce sujet de l’impact du numérique, qui ne se résume pas à son empreinte ?

Nous avons un premier axe de travail consistant à mesurer les impacts environnementaux du numérique, mais nous aimerions aussi essayer de mieux comprendre les apports du numérique pour l’environnement. Par exemple, nous avons déjà une étude qui est sortie sur l’impact environnemental du numérique dans la région Grand Est, incluant une partie sur les solutions numériques qui peuvent être bénéfiques ou non pour l’environnement.

Un exemple très concret est celui de la maison connectée où cette étude a regardé si l’impact des capteurs sur la réduction de la consommation énergétique était vraiment positif pour l’environnement.

La première conclusion est qu’il faudrait vraiment réduire drastiquement sa consommation énergétique afin que ce soit vraiment bénéfique : le coût carbone d’entrée de la solution des capteurs est trop important par rapport aux avantages attendus.

Cela nous incite à d’explorer d’autres cas d’études afin de déceler d’autres solutions qui seraient de vraies bonnes pistes. Nous réalisons une étude nommée IT for Green qui sera probablement publiée fin 2025.

 

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